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Quand le pouvoir a peur des femmes. Comment dit-on effet Streisand en mandarin ?

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Le troisième plénum du Parti communiste chinois (PCC) centré sur la stratégie de développement économique s’est achevé le 21 juillet à la gloire du président Xi Jinping dans un contexte de déflation et de fortes tensions protectionnistes.

Dans la lignée des objectifs du rapport « Made in China 2025 » publié en 2015, et du congrès du PCC de 2022, le plénum réaffirme la priorité donnée au « nouveau modèle » fondé sur « le développement économique de haute qualité » ; la politique économique doit désormais s’appuyer sur l’innovation technologique, les mégadonnées (« big data ») et l’intelligence artificielle pour soutenir la croissance.

Les conséquences de ces orientations sont importantes, voire inquiétantes, pour l’équilibre économique mondial.

Destruction d’emplois à court terme Tout d’abord, l’engagement de stimuler la demande intérieure afin de rééquilibrer la balance commerciale structurellement excédentaire (823 milliards de dollars en 2023, environ 750 milliards d’euros) n’est désormais plus à l’ordre du jour. Beaucoup plus préoccupant encore est le risque de voir la Chine entraîner l’économie mondiale vers un état où les bénéfices du commerce international seraient partiellement ou totalement annulés.

Lire aussi la chronique Patrick Artus : « Il y a une défiance croissante vis-à-vis de la Chine comme partenaire commercial ou comme localisation des investissements directs » Certes, ce scénario est jugé très improbable par les économistes, qui s’attachent régulièrement à le réfuter dans la presse face à l’opinion publique préoccupée par la mondialisation. Dans l’esprit du public, en effet, les exportations associées à un niveau de salaire réel très faible seraient à l’origine de nombreuses fermetures d’usines dans les économies occidentales depuis plusieurs décennies.

Si la plupart des économistes reconnaissent l’effet de la mondialisation sur la destruction d’emplois à court terme, c’est pour mieux rappeler que le produit national est toujours plus élevé à long terme en raison de la « loi des avantages comparatifs » énoncée par l’économiste britannique David Ricardo (1772-1823), selon laquelle si chaque pays se spécialise dans la production d’un bien, il obtient des gains de productivité plus élevés qu’un pays qui ne se spécialise pas ; et si chaque pays choisit des spécialités différentes, la richesse mondiale est alors supérieure à celle produite en autarcie.

Lire aussi « Le déséquilibre béant de nos interdépendances commerciales avec la Chine constitue un risque pour la résilience de nos économies » Sous réserve de stabilité du taux de change, chaque pays jouit ainsi d’un supplément de richesses. Mais l’argumentation ne persuade guère le public si l’on en juge par la vigueur des débats sur la mondialisation.

« Contrevérité populaire » pertinente Jamais à court d’arguments, les économistes répondent que la polémique serait essentiellement due au « manque de culture économique » du public. L’explication ne convainc cependant pas tous les économistes et non des moindres. Paul Samuelson (1915-2009) partage en partie les craintes du public. Depuis son discours de réception du prix Nobel en 1970, la question de la destruction des emplois l’a préoccupé tout au long de sa carrière.

En 2004, il publie un article sous forme de bilan et de projection pour l’avenir sur les conditions dans lesquelles la « contrevérité populaire » pourrait bien s’avérer parfaitement pertinente (« Where Ricardo and Mill Rebut and Confirm Arguments of Mainstream Economists Supporting Globalization », Journal of Economic Perspectives, nᵒ 18/3, 2004).

Dans sa démonstration, Samuelson complète la loi des avantages comparatifs de Ricardo par celle de la « destruction créatrice » de l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950) ; il compare les gains réels des consommateurs liés à la mondialisation aux pertes des producteurs. Selon Samuelson, les gains ne compensent pas nécessairement à long terme les pertes provoquées par la destruction d’une partie de la production en raison de l’innovation technologique.

Pour les besoins de sa démonstration théorique, Samuelson utilise un modèle à deux biens échangés entre deux pays, les Etats-Unis et la Chine. L’auteur évalue les gains liés au commerce en supposant que, au départ, la productivité est dix fois plus élevée pour le bien produit aux Etats-Unis, ce qui assure aux deux pays l’avantage « prévu » par la théorie de Ricardo.

Stratégie d’imitation Dans la suite de sa démonstration, l’auteur analyse l’effet de l’innovation technologique sur l’augmentation de la productivité du travail en Chine. En général, les deux pays bénéficient du supplément de richesses, même si la productivité des Etats-Unis n’a pas varié. Mais la difficulté survient lorsque la Chine connaît une innovation majeure (par imitation ou par l’effet de sa propre recherche-développement…) dans le bien importé des Etats-Unis.

Dans ce dernier cas, la Chine n’est plus incitée à importer le bien en question, et l’économie américaine enregistre une perte nette d’emplois et de revenus à long terme. L’avantage comparatif est ainsi totalement annulé par le progrès technique. Les bénéfices des Etats-Unis issus du libre-échange se sont évanouis sous le choc de l’innovation technologique en Chine.

Lire aussi la tribune Chine : « La primauté du Parti justifie tous les sacrifices, y compris économiques » Tout en soulignant le caractère très simplifié du modèle, Samuelson n’en reste pas moins préoccupé, car le cas n’est pas si particulier au regard de l’histoire économique. Il rappelle la période de contestation de l’hégémonie manufacturière de l’Angleterre victorienne par les Etats-Unis à partir de 1850, grâce notamment à une stratégie d’imitation des technologies développées en Europe.

L’économie mondiale serait-elle aujourd’hui à la veille du retour d’un tel épisode ? Les signaux d’alerte ne manquent pas ; depuis la publication en 2015 du rapport « Made in China 2025 » jusqu’à la stratégie de « développement de haute qualité » entérinée en 2024 par le plénum du PCC, tous les éléments semblent réunis pour une prochaine guerre commerciale longue et destructrice entre la Chine, les Etats-Unis et l’Europe.

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Craintes de famine en Corée du Nord: la situation agricole alarme la FAO

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https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20240819-craintes-de-famine-en-cor%C3%A9e-du-nord-la-situation-agricole-alarme-la-fao

La Corée du Nord fait face à une situation alimentaire préoccupante, marquée par une souveraineté alimentaire limitée et des conditions météorologiques défavorables.

(Sans doute lié au changement climatique mais peut-etre que je me trompe)

#CoréeduNord #FAO #Alimentation #ChangementClimatique

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Kamala Harris ou Donald Trump : quelle différence pour l’Asie ?

@monde

https://asialyst.com/fr/2024/08/03/kamala-harris-donald-trump-quelle-differnece-asie/

Le choix des électeurs américains d’élire Kamala Harris ou Donald Trump à la Maison Blanche le 5 novembre prochain sera lourd de conséquences pour l’avenir politique et géostratégique de l’Amérique en Asie. Il sera déterminant pour ses alliés dans la région.

#Asie #USA #ElectionUSA #DonaldTrump #KamalaHarris #Géopolitique

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Tokyo (Japon).– La nuit est tombée à Tokyo et la lumière s’échappe de la salle d’un centre communautaire de l’arrondissement de Bunkyo, à l’est de la capitale japonaise. Pour la première fois depuis des années, Takeo Shimizu, 86 ans, un des leaders historiques du Chūkaku-ha, va tenir une conférence devant une poignée d’étudiant·es. Communiste, il a vécu une vie de fugitif à partir de 1969, puis a subitement réapparu en 2020, en pleine pandémie de Covid-19, affirmant que le contexte était idéal « pour une révolution ».

Ce soir d’avril 2024, alors que sa conférence s’apprête à démarrer, un militant nationaliste l’insulte depuis le trottoir, à l’extérieur du bâtiment. Mais Takeo Shimizu reste de marbre. Pendant trois heures, il revient sur son éveil à la lutte et sur sa vision marxiste de la société mais reste discret sur les raisons de son retour dans la vie publique.

Dans un entretien publié le 17 avril par l’hebdomadaire Flash, Takeo Shimizu s’explique : « Nous voulons manifester, mais la violence de la police antiémeute et de l’autorité étatique nous en empêche. Nous devons donc nous battre : si les autorités nous frappent avec des bâtons, nous leur rendons la pareille. Si elles nous tirent dessus avec des pistolets, nous leur tirons dessus également. »

Il ajoute que son souhait n’est pas d’en venir à de telles mesures, mais que la situation peut ne pas donner le choix : « À mesure que les États-Unis renforcent leur armée et exercent une pression sur la Chine, le stalinisme chinois réagit de même. Le Japon renforce aussi son armée. Telles sont les contradictions de l’impérialisme capitaliste. » Pour lui, une troisième guerre mondiale se profile, et la « seule façon d’éviter la guerre est la révolution ». Galvanisé par « l’arrivée de nouveaux membres » dans les rangs du Chūkaku-ha, Takeo Shimizu annonce qu’« une grande action se profile à l’automne ».

Le refus de l’impérialisme américain Depuis les années 1970, le Japon est progressivement devenu sourd aux discours du Zengakuren. Fondé en 1948 par Takei Teruo, ce mouvement étudiant d’extrême gauche compte à son pic, dans les années 1960-70, près de 300 000 membres, soit 60 % de la population estudiantine du pays. À l’origine, il s’agit d’une mobilisation de la jeunesse contre la guerre du Vietnam et la présence des bases américaines sur le sol japonais.

Entre 1955 et 1957, la lutte de Sunagawa unit pour la première fois étudiant·es et syndicats contre l’agrandissement d’une base militaire américaine, à l’ouest de Tokyo : ils luttent contre l’expropriation de cent quarante familles. Ce mouvement de protestation reste à ce jour le plus important en matière de revendications contre les bases américaines au Japon.

En 1959 et 1960, puis de nouveau en 1970, les étudiants et étudiantes se retranchent dans les campus : de Tokyo à Kyoto, ils sont organisés en comités autonomes, montent des barricades. Dans la capitale, des centaines de milliers de jeunes se rassemblent autour du Parlement quasi quotidiennement. Lorsque le gouvernement s’apprête à signer le traité de l’Anpo, qui organise la « coopération » entre les États-Unis et le Japon, le Zengakuren entre dans la Diète : nous sommes le 15 juin 1960 et, vers 1 heure du matin, le corps sans vie de Michiko Kamba, une étudiante de 22 ans, est retrouvé. Son histoire bouleverse l’archipel.

Les mouvements de protestation se prolongent mais le traité de sécurité est acté, quelques jours plus tard, pour une durée de dix ans. La mort de la jeune fille et la mobilisation n’ont pas interrompu la signature mais ont entraîné la chute du gouvernement du premier ministre, Kishi Nobusuke (grand-père de Shinzo Abe), et l’annulation de la visite du président des États-Unis, Dwight Eisenhower.

Montée des violences entre factions Après la signature du traité, le Zengakuren, profondément déçu et désabusé, se divise en factions, dont certaines se montrent très critiques envers le Parti communiste japonais. Trois groupes principaux, eux-mêmes composés de sous-groupes, sont identifiés : le Minseidô, le Sanpa Zengakuren (dont dépend le Chūkaku-ha) et le Kakumaru-ha. De guérilla urbaine, la protestation tourne à la guerre fratricide, l’Uchigeba en japonais : les rivaux Kakumaru-ha et Chūkaku-ha s’entretuent, avec pour bilan une centaine de morts. D’autres factions organisent des purges parmi leurs membres.

Dans son livre Coed Revolution: the Female Student in the Japanese New Left (Duke University Press, 2021, non traduit), Chelsea Szendi Schieder, professeure à l’université Aoyama Gakuin, évoque 46 morts et 4 388 blessés dans le cadre de l’Uchigeba entre 1969 et 1976. Dans son dernier film, Gewalt no mori, qui retrace l’histoire d’un étudiant battu à mort par des membres du Kakumaru-ha à l’université de Waseda, le réalisateur Haruhiko Daishima avance de son côté le chiffre de cent morts dus à l’Uchigeba.

En 1972, l’épisode dit de l’Asama sansō sonne le glas de cette montée de violence : l’Armée rouge unifiée exécute quatorze de ses membres (ainsi qu’une autre personne) dans une purge organisée dans un chalet situé dans les montagnes de Nagano. L’arrestation est retransmise à la télévision dans le cadre d’un direct exceptionnel qui dure plus de dix heures.

Les conflits existent toujours entre les Chūkaku-ha et Kakumaru-ha mais il n’y a plus jamais eu de règlements de comptes armés après la fin des années 1990.

William Andrews, chercheur Dans l’opinion publique, ce moment cristallise l’idée que le militantisme politique est dangereux. Après l’Asama sansō, « les autorités doivent s’associer à la police et aux citoyens contre les dangereux étudiants », analyse Chelsea Szendi Schieder. La loi pénale spéciale sur la répression des actes violents votée en 1926 se durcit et s’élargit aux syndicats et aux étudiants. Après la dissolution d’une grande majorité des factions, des membres de l’Armée rouge japonaise et de l’Armée rouge unifiée fuient vers la Corée du Nord et la Palestine.

S’il n’y a plus de faits de violence liés à l’Uchigeba aujourd’hui, le terme reste tabou. D’autant plus qu’un écran de fumée continue d’opacifier la vue d’ensemble et que des questions demeurent : que s’est-il vraiment passé et comment en sont-ils arrivés là ? Jusqu’où la violence est-elle vraiment allée, et ces factions expriment-elles des regrets ?

Le mouvement syndical s’effondre, à l’unisson de celui des étudiants Toutes ces années, les syndicats se sont tenus aux côtés des étudiant·es. C’est dans l’alliance avec les travailleurs et travailleuses que les étudiant·es ont commencé à porter des casques de chantier. Fondé dans les années 1950, le Sōhyō, conseil général des syndicats du Japon, a été la plus grande fédération syndicale du pays pendant des décennies. « Le Sōhyō a rapidement exprimé une sensibilité de gauche, prenant part aux questions sociales qui secouaient alors l’archipel », explique Makoto Kawazoe, militant indépendant du mouvement syndical. « Il s’est inscrit dans la lutte contre l’Anpo », rappelle-t-il, mobilisant 6,4 millions de travailleurs et de travailleuses dans ce qui reste la plus grande grève de l’histoire du Japon.

Après la signature de l’Anpo, le mouvement syndical s’effondre, à l’unisson du mouvement étudiant. Mais l’alliance ne s’est pas éteinte et les syndicats se retrouvent davantage dans la lutte révolutionnaire du Zengakuren que dans la politique du Parti communiste japonais. « Nous voulons les soutenir, ils essaient de changer la société », explique Yasuhiro Tanaka, conseiller exécutif du syndicat du rail Doro Chiba, particulièrement mobilisé contre l’aéroport de Narita.

Mais aujourd’hui les grèves, comme les manifestations, pâtissent d’une mauvaise réputation. En 2018, le principal syndicat de la East Japan Railway Co. (JR East) a perdu 70 % de ses effectifs (32 000 membres) en trois mois. La raison évoquée dans le journal Mainichi : ils refusaient l’appel à la grève du syndicat. « La circulation des trains pourrait être interrompue et il n’est pas raisonnable de causer des ennuis à nos passagers », a déclaré un employé de JR East.

Lire la suite « Les conflits existent toujours entre les Chūkaku-ha et Kakumaru-ha mais il n’y a plus jamais eu de règlements de comptes armés après la fin des années 1990, assure William Andrews, chercheur et auteur de l’ouvrage Dissenting Japan: A History of Japanese Radicalism and Counterculture, from 1945 to Fukushima (C. Hurst & Co, 2016). Aujourd’hui, le Zengakuren n’est plus du tout dans cette mouvance : il veut simplement manifester. »

Uchigeba, c’est « un mot que je ne prononce pas », confie-t-il. Il poursuit : « J’utilise l’expression “guerre civile”. Encore aujourd’hui, nous ne sommes pas camarades avec le Kakumaru-ha. Alors nous nous protégeons : aussi bien d’eux que de la force politique actuelle. »

Un héritage « néfaste » En 2015, un nouveau mouvement étudiant se lève. Dans le Japon post-Fukushima, les Sealds (Students Emergency Action for Liberal Democracy) veulent protester contre la modification de l’article 9 de la Constitution japonaise qui garantit l’engagement pacifique de l’archipel, souhaitée par Shinzo Abe. Protester, oui, mais il était important pour eux de « dépasser les images du mouvement contre l’Anpo, explique Jinshiro Motoyama, un des leaders de ce groupe désormais en sommeil. La différence est que nous n’avons pas utilisé la “violence” et ces comportements destructeurs revendiqués par le Zengakuren dans sa dernière phase ».

Lorsque le Zengakuren vient à Okinawa, Jinshiro, lui-même natif de l’archipel qui se bat aussi pour le départ des bases militaires américaines, prend le parti d’observer ses manifestations « sans y prendre part ». Ajoutant : « On ne peut pas savoir à quelle faction ils appartiennent. »

Une précaution que prend très au sérieux le politologue Koichi Nakano, professeur à l’université Sophia (Tokyo). Il fait partie de ceux qui estiment que l’Uchigeba est l’une des principales causes de l’effondrement du mouvement étudiant depuis cette époque, mais aussi du désengagement du grand public vis-à-vis de la nouvelle gauche.

Selon lui, « la perception générale est que la violence dans laquelle sont tombés le Chūkaku-ha et le Kakumaru-ha (tout comme l’Armée rouge japonaise, etc.) a causé un grand dommage, en stigmatisant les mouvements de protestation par le gouvernement et les médias, et en causant un préjudice irréparable aux cercles activistes ». « À bien des égards, ajoute Koichi Nakano, les mouvements de protestation contemporains peinent à surmonter ce qui est considéré comme l’héritage néfaste du Zengakuren. Les militants doivent sans cesse insister sur la nature pacifique de leurs actions et sur la création d’une coalition qui dépasse les clivages partisans et exclut ce qu’il reste du Zengakuren. »

Le photojournaliste Kazuo Kitai, un des seuls à avoir couvert le mouvement étudiant de l’intérieur dans les années 1970, s’interroge sur la forme du message politique : « La révolution violente n’a pas permis d’ouvrir la voie au changement de la société. Je ne suis pas sûr que le Zengakuren ait un avenir désormais. Mais le gouvernement ne peut pas continuer à décider de la vie des gens de cette manière. C’est une question de libertés fondamentales. »

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Le Zengakuren, mouvement étudiant d’extrême gauche, milite contre la guerre, la figure impériale et la présence des bases militaires sur le sol japonais. Mais depuis les protestations meurtrières des années 1970, le groupe est honni par la société japonaise. Que représente-t-il aujourd’hui ? Qui sont les jeunes qui choisissent cet engagement politique malgré la profonde désapprobation sociale ? Enquête.

Tokyo (Japon).– Casques de chantier siglés sur la tête, des étudiant·es foulent le célèbre carrefour de Shibuya, à Tokyo. Des effectifs de police impressionnants encadrent les 800 manifestant·es, des étudiant·es et représentant·es des syndicats, le dimanche 28 avril 2024. En tête de cortège, garçons et filles d’une vingtaine d’années avancent serrés, en chaîne humaine. « Nous sommes contre la guerre ! », crient-ils. « Stop au génocide : Kishida, tu dois demander la fin du massacre à Gaza ! », intiment-ils au premier ministre.

Le cortège est encerclé, et les messages continuent de sortir des porte-voix : après la libération de la Palestine, ils demandent le retrait des bases américaines du territoire japonais, la fin de l’invasion russe en Ukraine, critiquent leur gouvernement... Sur leurs casques, qui symbolisent l’alliance avec les travailleurs et travailleuses, se trouvent les inscriptions « anticapitalisme » et « antistalinisme ».

Sont aussi inscrits les mots Zengakuren, diminutif de zen-nihon gakusei jichikai sō rengō (Fédération japonaise des associations autonomes d’étudiants) et Chūkaku-ha (comité central de la Ligue communiste révolutionnaire japonaise, faction marxiste du Zengakuren). Sur leur passage, certains les encouragent, beaucoup détournent le regard. Les gaisensha, les camions blindés des ultranationalistes, font des allers-retours pour hurler des insultes dans le but de couvrir la voix des étudiant·es.

Pendant les jours qui suivent la manifestation, les images de ce Shibuya chaotique, paralysé par une jeunesse casquée en colère, vont, à la lumière de l’actualité, devenir virales sur les réseaux sociaux. Mais qui sont ces jeunes ? En 2024, que reste-t-il du Zengakuren, ce mouvement étudiant qui s’est effondré dans les années 1970 ?

« La petite fille sur cette photo, c’est moi avec ma mère. Elle est morte mais elle a toujours milité pour les travailleurs, pour la révolution et contre la guerre. » Du plus loin qu’elle se souvienne, Tomoko Horaguchi, 36 ans, a toujours baigné dans un environnement politisé : « À la maison, on échangeait sur tout. Mon père était membre du Chūkaku-ha. »

Tomoko a grandi dans le nord-est du Japon. « Il s’est passé treize ans depuis le séisme de 2011 et aucune leçon n’a été tirée », dit-elle, exaspérée. Son père milite toujours, désormais contre le redémarrage de la centrale nucléaire d’Onagawa, située en bord de mer, à 160 kilomètres au nord de celle de Fukushima. « Le gouvernement a récemment distribué des tracts dans les écoles pour expliquer aux enfants de la région qu’ils pouvaient boire l’eau [rejetée par] la centrale traitée à l’Alps [un système de pompage et de filtration – ndlr] sans danger : pourquoi leur dire de telles absurdités ? » Elle ne peut s’empêcher de faire un lien avec le Japon en guerre, « lorsque l’on expliquait aux enfants qu’il fallait faire des sacrifices pour la nation ».

Un passé qui effraie Longtemps, la trentenaire a pensé que « dans les foyers, on parlait politique à table ». « C’est en allant à l’école que je me suis rendu compte que l’ambiance était différente dans les maisons de mes amis », se souvient-elle. Au Japon, la politique évite de s’inviter dans les discussions : souvent considérée comme taboue, elle peut créer des divergences d’opinions. Et depuis les années 1970, le militantisme politique est perçu comme dangereux, il fait peur.

À l’époque, les manifestations du Zengakuren, qui tient un discours révolutionnaire, font des morts. Dans sa dernière phase, certaines factions du mouvement organisent des attaques armées, et une guerre fratricide en son sein se prolonge jusqu’à la fin des années 1990. L’épisode sanglant épouvante la société, y compris la gauche. La faction marxiste du Chūkaku-ha est accusée d’une série d’attaques armées, de bombardements et de destructions d’infrastructures dans le but de faire avancer sa cause.

Tomoko Horaguchi explique qu’« il s’agit avant tout de se protéger, par la violence si nécessaire ». Pour elle, la révolution engagée dans les années 1970 doit se poursuivre. Elle en prend conscience en mai 2008, lorsqu’elle entend parler de l’arrestation de trente-huit étudiants sur le campus de l’université Hōsei, à Tokyo, alors qu’ils protestent dans le calme contre la tenue du G8. Elle quitte un emploi dans la restauration et reprend des études à Hōsei, justement, où le Chūkaku-ha a une longue histoire.

La moindre bousculade avec un policier, un fonctionnaire, un agent de sécurité sur un campus sera une excuse pour les placer en garde à vue.

William Andrews, chercheur, à propos des militants du Chūkaku-ha En deuxième année, raconte-t-elle, « j’ai été punie parce que je distribuais des tracts. C’était contre le règlement : mes tracts n’étaient même pas politiques ». Les membres du Chūkaku-ha, au nombre de 4 700 aujourd’hui, partagent tous des expériences d’arrestation et de garde à vue. À tel point qu’« il s’agit quasiment d’un rite initiatique pour les nouveaux », explique William Andrews, chercheur et auteur de l’ouvrage Dissenting Japan: A History of Japanese Radicalism and Counterculture, from 1945 to Fukushima (C. Hurst & Co, 2016). Sauf que « les attaques armées sont le passé, aujourd’hui ils veulent simplement manifester ».

Le chercheur précise : « La moindre bousculade avec un policier, un fonctionnaire, un agent de sécurité sur un campus sera une excuse pour les placer en garde à vue [qui peut durer jusqu’à vingt-trois jours au Japon pour chacune des infractions identifiées – ndlr]. Les forces de l’ordre cherchent à les intimider. »

Une police politique confirmée par un avocat qui tient à rester anonyme. Avec un membre du Chūkaku-ha en garde à vue, « la police dispose aussi d’un mandat pour pénétrer dans les bureaux à la recherche d’indices pour retrouver d’anciens membres ». Une méthode qui a fait ses preuves puisque, en 2017, la police a retrouvé Masaki Osaka, recherché depuis des décennies et condamné à vingt ans de prison fin 2023 pour sa participation à une manifestation à Shibuya, en 1971, qui a entraîné la mort d’un policier. Le militant a toujours clamé son innocence.

Au Japon, « peu de personnes savent que le Zengakuren existe toujours, explique Tomoko Horaguchi. Et ceux qui nous connaissent ont une très mauvaise image de nous. » Elle poursuit : « Nous ne renions pas ce passé mais nous voulons faire entendre nos voix sur les sujets sociaux et politiques qui nous touchent. Et si la violence est nécessaire pour nous défendre contre l’autorité étatique, nous n’hésiterons pas. » Parce qu’ils tiennent ce discours qui pose la question de la résistance violente, les membres du Chūkaku-ha sont surveillés par les forces de l’ordre comme le lait sur le feu.

Sous surveillance À l’est de Tokyo, le bâtiment du Zenshinsha, le QG du Chūkaku-ha, est une véritable forteresse d’acier. Sur la palissade, les unes de la publication hebdomadaire de la faction et une pile de journaux que l’on peut prendre, en échange de quelques centaines de yens à déposer dans une boîte. Sept caméras de surveillance permettent au gardien de vérifier qui sonne à la porte ou rôde aux alentours. Près de là, les traces de l’utilisation d’une scie à métaux, vestiges d’un raid de police survenu il y a un an, à l’été 2023.

« Le camping-car de la police est stationné là vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept », explique Mayumi Ishida, 37 ans, un des leaders du Chūkaku-ha, alors qu’il pointe du doigt un véhicule garé à une cinquantaine de mètres. « On ne sait pas vraiment ce qu’ils fabriquent », plaisante-t-il. Pour entrer dans le bunker, il faut passer une porte, puis deux. Des verrous, des leviers, qui « nous permettent de nous protéger, explique Mayumi Ishida, surtout la nuit, on les ferme tous ». Dans le hall, les portraits des policiers qu’ils croisent régulièrement. Sur plusieurs étages, l’espace est grand : il y a la rédaction mais aussi des salles de réunion, une cafétéria, des cabines de douche et des couchettes. « Moi je vis ici », précise Mayumi Ishida.

Dans les dortoirs universitaires, les règlements intérieurs interdisent souvent de parler politique.

Mayumi fait partie de ceux qui portent la représentation publique du groupe, dont il est membre depuis près de vingt ans, en répondant aux quelques demandes d’interviews des médias japonais. Le Chūkaku-ha veut changer son image, montrer qu’il est davantage que l’épisode sanglant de son passé et expliquer pourquoi il se bat et quelle est sa lutte aujourd’hui. Depuis quelques années, il connaît un regain de popularité, et de plus en plus de jeunes se reconnaissent dans son combat social et politique.

« Ici, du matin au soir, nous nous battons pour changer la société. » La cause du Chūkaku-ha est devenue toute la vie de ce natif de Hiroshima, où le traumatisme générationnel de la guerre reste fort. Depuis ses années étudiantes à l’université du Tōhoku, à Sendai, il se souvient du 11 mars 2011 comme si c’était hier. Comme pour beaucoup de membres, c’est l’accident nucléaire de Fukushima et le retour au gouvernement de Shinzo Abe, en 2012, qui confortent son engagement. « Avant de rencontrer le Chūkaku-ha, moi aussi je pensais que la mobilisation étudiante n’existait plus que dans les films en noir et blanc. Mes grands-parents étaient des militants, mais pas mes parents. » Le discours pacifiste de la faction résonne en lui : « Je ne connaissais rien d’eux. J’étais un simple étudiant fauché : au Japon, les frais universitaires coûtent cher. »

À l’époque, entre cafétéria et dortoir, ces logements étudiants collectifs aux tarifs très abordables, Mayumi s’en sort avec 20 000 yens (117 euros) par mois. Mais les universités et le gouvernement ne veulent plus de ces lieux de rassemblement où s’organise traditionnellement le débat politique de la jeunesse : les campus ont entrepris de les démolir pour en reconstruire des neufs, plus chers et où les règlements intérieurs interdisent souvent de parler politique.

Mes amis m’ont dit de faire attention, que le Chūkaku-ha pouvait être dangereux. Mais j’étais aligné avec leurs idées.

Mayumi Ishida, militant du Chūkaku-ha « À mon époque, le dortoir voisin du mien avait été touché par un avis d’expulsion, et les étudiants avaient protesté. J’étais choqué par la décision de le fermer, prise par l’université sans consultation des étudiants qui vivaient à l’intérieur. » Le plus vieux dortoir du Japon, Yoshidaryo, qui dépend de l’université de Kyoto, est actuellement en bataille devant les tribunaux de l’ancienne capitale : les étudiant·es refusent l’ordre d’expulsion de l’université dont ils font l’objet et le tribunal a statué en leur faveur en février.

Militer contre la guerre et pour les droits des étudiant·es devient une évidence pour Mayumi. « Mes amis m’ont dit de faire attention, que le Chūkaku-ha pouvait être dangereux. Mais j’étais aligné avec leurs idées. » Il remarque un changement ces dernières années : « Si ma génération n’a pas su comment militer, les choses ont changé : l’invasion russe en Ukraine, la situation à Gaza ont choqué le monde, et militer pour la paix parle à de plus en plus de jeunes, y compris au Japon. »

Mais le militantisme japonais connaît des freins : « La lutte des classes a été différente au Japon. En France, il y a eu plusieurs révolutions bourgeoises, l’insurrection de la Commune de Paris qui a permis de faire entendre les souffrances des travailleurs et de poser les fondations des organisations syndicales. Le Japon n’a pas connu cela. Pendant la restauration de Meiji, la révolution a été capitaliste : la classe dominante a renversé le système en s’associant à la classe capitaliste émergente. Il n’y a pas eu de révolution sociale durant laquelle les paysans et les ouvriers se seraient massivement soulevés. » Dans les années 1970, sans parvenir à cette révolution sociale, la lutte a laissé le sentiment amer d’avoir protesté pour rien. Le désespoir et la colère ont embrasé les esprits.

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